Suivent ci-après des extraits d’un article publié par mon collègue Karim El-Mufti, PhD, professeur et directeur du Human Rights Clinic de l’Université Sagesse. Vous trouverez l'article complet, « Combattre la Violence au Liban : Que rôle pour la Société Civile ? » sur le site web
http://beirutenterprise.blogspot.com.
1. Enracinement du phénomène de la violence dans l’univers mental libanais
Plus de 25 ans après la fin de la guerre civile, le pays du Cèdre n’en finit pas de subir les éclosions de violence sous diverses formes. Violence armée d’abord, les armes, lourdes comme légères, restant aux mains de nombreux clans, groupes, partis et milices qui en font régulièrement usage sans que les autorités libanaises, émanation d’un Etat impuissant, ne puissent éradiquer ce phénomène de violence post-guerre civile, que les observateurs ont qualifié de « conflits de second ordre ».
On ne compte plus les clashs armés dans le pays, qu’il s’agisse de règlements de compte entre factions rivales (dans le cadre du crime organisé notamment), ou de rixes communautaires (les récents combats de Beb el Tebbeneh et Jabal Mohsen à Tripoli ou encore les incidents plus anciens du 7 mai 2008).
La violence s’est durablement enracinée dans le quotidien des Libanais, s’agissant du volet politique mais aussi sociétal, dans un contexte où un simple incident de circulation risque aboutir à un déballage d’armes et de brutalité. La nervosité et l’agressivité règnent, gagnant un nombre grandissant de familles rongées par les problèmes socio-économiques et l’inégalité de l’accès aux ressources et aux services de base comme une éducation de qualité, les soins médicaux ou une pension de retraite.
Se faisant, les enfants sont les premiers à payer le prix de ces frustrations, victimes d’abus, généralement accompagnés de violence conjugale à l’encontre des femmes, conduisant parfois à des situations tragiques.
2. Echec des pouvoirs publics pour endiguer la violence au Liban
Depuis l’établissement de ce qui fut considéré comme une « seconde indépendance » du Liban suite au retrait des forces syriennes du pays le 25 avril 2005, les responsables politiques ne se sont guère préoccupés de s’attaquer aux sources de la violence dans le pays, ni dans son aspect politico-confessionnel et encore moins pour résorber les manifestations de la crise économique et sociale qui touche de plus en plus de familles libanaises et notamment les jeunes.
L’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri deux mois plus tôt représente d’ailleurs une parfaite illustration de la poursuite de la violence politique dans le pays. Devant l’ampleur de ce crime politique, la justice libanaise, traditionnellement impuissante pour percer les tenants et aboutissants de ce type de situations, dut déléguer ses prérogatives au Tribunal Spécial pour le Liban par décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
La mise en place de ce tribunal fut concomitante avec la poursuite des assassinats et tentatives d’assassinat de nombreuses personnalités journalistiques et politiques dans la période de grande perturbation qui frappa le Liban à cette époque. Parallèlement, à l’été 2006, la guerre refit son apparition lorsque Israël décida de pilonner le Liban et d’en raser ses villages (notamment au Sud-Liban) pour tenter de neutraliser le Hezbollah, son ennemi juré, dépositaire officiel de la « résistance armée à Israël » selon les termes des déclarations de politique générale des gouvernements successifs du pays qui obtinrent la confiance du Parlement sur la base de ces mandats.
3. Ténacité de la société civile dans son combat contre la violence malgré de maigres résultats à court terme
L’association UMAM – Documentation and Research, fondée en 2004 par Lokman Slim, a quant à elle produit un « guide de la paix et de la guerre à l’attention des Libanais » qui offre une riche documentation sur les évènements de la guerre civile. L’ONG s’est ainsi donné un rôle important en matière de conservation de la mémoire de la violence de la guerre afin de se souvenir du sort des victimes de ces exactions jusqu’à présent restées impunies.
Dernier exemple dans cette typologie proposée des acteurs de la société civile libanaise oeuvrant à résorber le phénomène de violence au Liban, l’association des Combattants pour la Paix (Fighters for Peace), aujourd’hui dirigée par Ziad Saab, qui concentre des anciens miliciens devenus des ambassadeurs de la paix et de la non violence. Ces appels « des combattants d’hier à ceux d’aujourd’hui » à ne pas répéter leurs propres erreurs fait office de place forte soutenant l’idée de creuset pour une culture de concorde et de coexistence avec notamment pour slogan : « dans une guerre civile, tout le monde est perdant ».
Beaucoup de ces ONGs citées ci-dessus forment d’ailleurs un Collectif qui s’intitule « Notre unité constitue notre salut » (Wahdatouna Khalassouna) dont le but affiché est justement de « travailler ensemble pour consolider la paix civile et la protection des droits de l’homme et du citoyen » au Liban. Cette riche mosaïque de la société civile libanaise se veut endossant le rôle de « prophètes de la paix » en direction de la collectivité libanaise dans sa riche diversité, tout comme elle aspire à agir en groupe de pression à l’égard de responsables politiques afin d’en influencer les décisions.
En revanche, force est de constater que la réactivité de ces derniers n’est pas au rendez-vous. En effet, les entrepreneurs politico-communautaires n’expriment aucune réceptivité au concept de consolidation de la paix, mais contribuent au contraire à alimenter les facteurs de cette « fausse paix » qui a cours aujourd’hui dans le pays. Ces derniers sont également réticents à l’idée de s’attaquer aux racines de la violence dans sa dimension sociale et économique et s’accrochent au pouvoir en piétinant la Constitution et sapant les institutions républicaines.
Dans ces conditions, force reste de constater que la société civile libanaise, malgré sa présence tentaculaire et son poids dans l’espace public, n’a finalement que peu d’influence sur l’agenda politique des décideurs. De ce fait, le curseur de ces ONGs reste cantonné aux quelques points d’entrée qu’elles ont collectivement réussi à forcer dans la carapace étatique, confisquée par les entrepreneurs politico-communautaires au fil des années.
C’est ainsi que la société civile a tout de même pu apposer sa marque et produire un certain impact dans le contexte libanais. Tout d’abord, en martelant le concept du « Liban-message », la société civile se pose en dernier rempart de la coexistence pacifique et du vivre ensemble au Liban. En cela, ces activistes gardent vivante l’option de l’Etat civil et non communautariste auquel ils aspirent pour les citoyens, même si ce message a du mal à percer dans l’environnement social et politique libanais. De même, l’action de la société civile a le mérite d’avoir développé les outils nécessaires en vue d’un éventuel déroulement d’un véritable processus de réconciliation au Liban, et ce malgré l’absence de volonté politique sur la question. Il n’empêche que l’expertise des ONGs sur ce terrain constitue une indispensable ressource pour espérer un jour accomplir la justice et affermir le lien social.
Vous trouverez l'article complet du Dr. Karim El-Mufti, « Combattre la Violence au Liban : Que rôle pour la Société Civile ? », sur le Blogue du Beirut Enterprise, disponible sur le site web
http://beirutenterprise.blogspot.com.